Sylvie Nony
Physicienne de formation, j’ai longtemps cru que la science voire la technoscience allait contribuer à une amélioration constante de la vie sur Terre. Je baignais dans ce que Ph. Bihouix nomme « l’utopie cornucopienne » (celle de la corne d’abondance). La pile à combustible, la chimie verte ou les nodules au fond des océans allaient résoudre nos problèmes. Ma première crise de conscience date de 1986 lors de l’accident de Tchernobyl qui a pulvérisé bien des certitudes. Puis en 1992, la revue La Recherche a publié un numéro spécial sur l’effet de serre, les flux de carbone entre les différents réservoirs, les enseignements de la paléoclimatologie… Le réchauffement climatique, qui m’apparaissait jusque là comme une fluctuation éventuelle, discutable et discutée, devenait un phénomène quantifié dans des proportions dépassant clairement les incertitudes de mesure. 1992 c’est aussi l’année de la conférence de Rio, l’espoir d’une réaction planétaire suivi d’une longue série de déceptions.
Le point de départ de mon engagement associatif sur les questions environnementales est cependant beaucoup plus prosaïque. En 1994, ma voisine frappe à ma porte et sans détour m’interpelle : « T’as vu la nouvelle facture d’eau ? Et en plus elle est dégueulasse ! ». J’habite à l’époque en Sud-Gironde où les investissements en matière d’assainissement ont bondi mais aussi les largesses de certains élus avec les opérateurs privés. Nous formons alors une association « H2O » qui va essaimer dans plusieurs communes et essayer de comprendre comment est fait le prix de l’eau, d’où vient la ressource, comment est-elle traitée, à qui appartient-elle, que payent les usagers à travers les composantes de leur facture ? L’intrication entre les choix économiques, le mode de gestion des services de l’eau, et les conséquences parfois irréversibles de ces choix sur la ressource, le rôle du législateur : comment préserver la ressource en même temps que le droit fondamental d’accès à l’eau pour chacun ? La recherche collective de solutions est parfois ardue mais indispensable à la démocratie.
Plus récemment c’est la question des pesticides dans laquelle je me suis impliquée. En 2014, suite à l’incident de Villeneuve de Blaye où des enfants et leur institutrice ont été pris de malaises à cause des pulvérisations de deux viticulteurs à proximité, un jour de grand vent. La SEPANSO 33 s’est portée partie civile dans le procès qui a suivi (un non lieu, puis un procès suivi d’une relaxe, puis un appel de la relaxe par le parquet de Bordeaux qui a abouti à la condamnation des deux viticulteurs et à l’indemnisation de la SEPANSO).L’utilisation immodérée des pesticides en France mêle, elle aussi, des enjeux économiques et écologiques évidents, mais, comme pour l’eau, ces enjeux ne s’opposent pas dès que l’on comprend que l’agriculture n’a pas à choisir entre le respect du vivant - santé humaine et biodiversité incluses - et un pseudo-réalisme économique qui n’aura aucun sens quand tout l’écosystème sera détruit, quand les pollinisateurs auront disparu, quand l’eau que boivent nos enfants, l’air qu’ils respirent seront définitivement pollués. Pour convaincre que seule l’agriculture paysanne et biologique a un avenir, il faut mener un travail de terrain avec les agriculteurs, les riverains, les élus. Il faut aussi instruire des dossiers de façon rigoureuse pour dénoncer efficacement des lobbies locaux ou internationaux. Les deux aspects me semblent indissociables et ils caractérisent l’action de nombreuses associations au sein de FNE. C’est pour cette raison que j’ai accepté de devenir référente pesticides de FNE-NA.
Si j’ai perdu la foi en un progrès technologique infini, je n’ai pas perdu la conviction que nos connaissances scientifiques peuvent nous aider à remettre de la rationalité dans un monde qui en manque cruellement, piloté par des logiques financières délirantes nous menant droit à la catastrophe. Le climat, la biodiversité et la santé humaine sont trois sujets d’inquiétudes majeures. Ils mobilisent aujourd’hui de nombreux jeunes activistes, de plus en plus inventifs quant aux modes d’action, qui s’appuient sur le travail de nos associations. La relève est là et c’est une raison suffisante de ne pas baisser les bras.
Sylvie Nony, bénévole à la Sepanso Gironde